À quelques mois des dernières élections européennes, l’un des principaux objectifs de la Commission Juncker sortante a enfin vu le jour. Le 17 avril 2019, la directive (UE) 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (la “ Directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique” – ou plus simplement, « Directive DA Num. ») a finalement été adoptée après de longues négociations. La nouvelle directive sur le droit d’auteur introduit un nouveau droit pour les éditeurs de presse en ce qui concerne l’utilisation en ligne de leurs publications, conformément à l’article 15 de la directive. Pour des raisons de complexité du marché, la directive ne sera transposée que cette année, à partir du juin 2021. Nous pouvons y revenir brièvement, car ce droit s’étend bien plus loin que ce le titre de la directive peut laisser entendre…
Qu’est ce que le marché numérique Européen ?
Aujourd’hui, l’expression “marché unique numérique” reste assez ambiguë. Pour reprendre les termes de la Commission, le marché unique numérique est :
“un marché dans lequel la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux est assurée et où les particuliers et les entreprises peuvent accéder et exercer des activités en ligne en toute transparence, dans des conditions de concurrence loyale et avec un niveau élevé de protection des consommateurs et des données à caractère personnel, indépendamment de leur nationalité ou de leur lieu de résidence”.
En particulier, il n’est pas clair si, selon la Commission, le Marché Numérique doit être un marché autonome, une politique de “nouvelle génération” de l’UE ou un secteur transversal de l’ensemble du marché intérieur. Des préoccupations similaires concernent le contenu spécifique de la Directive DA Num., car les multiples stratégies adoptées pour poursuivre cet objectif ne sont pas toujours cohérentes. Il semble évident que ce politique vise à éliminer les barrières nationales qui continuent d’affecter le flux des activités menées en ligne, sans vraiment montrer son utilité.
La directive (UE) 2019/790 DA Num. constitue un pas en avant dans l’harmonisation du droit d’auteur au sein de l’UE dans cette politique du marché numérique . L’harmonisation concerne principalement les droits des auteurs (avec une référence primaire à certaines catégories) et les exceptions à ces droits. En bref, la directive DA Num. a été envisagée pour appliquer les droits et obligations liés au droit d’auteur également en ligne. Par souci de concision, il est proposé, avec la directive DA Num. , d’assurer la prolifération et la rémunération des “petits acteurs” face à Google, Facebook, Youtube et autres. Pour ces raisons, elle ouvre la voie à des systèmes de licences.
À première vue, cette nouveauté semble être fondamentale, étant donné que la réforme de l’UE sur le droit d’auteur a reçu une grande attention médiatique. L’étape finale du “train législatif” a eu lieu après de nombreuses années de procédures lourdes impliquant les institutions politiques, les décideurs nationaux et les parties prenantes. C’est très loin d’être le cas !
L’utilité de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique dite Directive DA Num
La directive (UE) 2019/790 a été conçue pour réduire la marge de manœuvre des États membres bien plus que ne l’a fait l’ancienne directive Infosoc (2001/29/CE). L’ampleur, les effets et la dimension transfrontalière des objectifs poursuivis par la réforme ont donné au législateur européen l’occasion de démontrer facilement que les principes de subsidiarité et de proportionnalité pouvaient être respectés même si le nouveau cadre juridique comprimerait les pouvoirs des États membres vis-à-vis de l’Union européenne.
D’emblée, il convient de rappeler que la directive DA Num. n’a pas d’incidence sur les trois droits exclusifs inscrits dans la directive Infosoc (2001/29/CE) . Le premier est le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, temporaire ou permanente, par tout moyen et sous toute forme, en tout ou en partie, pour les sujets indiqués dans l’art. 2 de la directive 2001/29/CE (pour faire bref, les propriétaires de droit d’auteurs) . Le second droit, institué par l’art. 3, est le droit des bénéficiaires indiqués à l’art. 2 d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs “œuvres” (entendues au sens large), par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. Le troisième droit consiste à autoriser ou à interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’œuvre originale ou de copies de celle-ci (article 4).
La directive (UE) 2019/790 modifie profondément le système d’exceptions et de limitations établi par la directive Infosoc. Les modifications apportées à l’ancien cadre juridique devraient avoir un impact remarquable tant au niveau national que supranational. Le droit d’auteur recoupe de nombreux autres secteurs couverts par le droit supranational et cette réforme devrait donc produire un effet domino. En outre, du point de vue de l’UE, les nouvelles règles sur le droit d’auteur pourraient tout aussi bien marquer un tournant dans les négociations avec les pays tiers chaque fois que des aspects concernant la propriété intellectuelle – en particulier les droits de propriété intellectuelle – doivent être traités ; cela s’applique non seulement aux accords spécifiquement conclus pour réglementer la propriété intellectuelle, mais aussi à des instruments plus complets, tels que les accords de libre-échange.
Pourquoi cette directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique dite Directive DA Num ?
Comme souvent en droit européen, la directive couvre plusieurs mesures et contextes liés. La première et plus grande problématique que le Parlement voulait affronter était liée à la réutilisation abusive de contenu en ligne.
Certains fournisseurs de la société de l’information, tels que les services de presse de deuxième main (Google News, par exemple) et les agrégateurs d’informations en ligne, font de la réutilisation des publications de presse leur activité principale. Les éditeurs de presse sont confrontés à de nombreuses difficultés pour contrôler cette réutilisation de leurs contenus par ces fournisseurs en ligne par le biais de licences spécifiques ; en bref, les éditeurs de presse ne peuvent pas protéger de manière adéquate leurs contenus contre une utilisation en ligne non autorisée. Le considérant 54 de la nouvelle directive sur le droit d’auteur explique ces difficultés comme l’un des motifs justifiant l’introduction d’un nouveau droit pour les éditeurs de presse, qui a été introduit afin de soulager la détresse du secteur de la presse.
La grande nouveauté de cette directive se trouve dans l’article 15 , qui donne donne aux éditeurs de presse établis dans l’UE le doit de réclamer les recettes provenant des utilisations en ligne de leurs publications par les fournisseurs de services de la société de l’information. Les auteurs de publications de presse vont recevoir. une part appropriée des recettes réalisées grâce à l’octroi de licences pour les utilisations en ligne de leurs publications. En outre, en lien avec le droit établi par l’article 15, l’article 16 de la nouvelle directive sur le droit d’auteur introduit le droit pour les éditeurs de recevoir une compensation équitable et ce droit s’applique aux éditeurs en général, non seulement des publications de presse, mais aussi en ce qui concerne, par exemple, les livres, la musique ou les publications scientifiques.
Ceci n’est pas tout tout : l’article 17 prévoit une extension bien plus large de ce droit à la compensation, obligeant tous les « fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » (FSPL) a rendre aux auteurs, peu importe la façon d’où ceux cis sont constitutés, la juste part de leur travail. Elle vise clairement les plateformes telles que Google, Yahoo ou Facebook. A titre d’exemple, l’article 2, paragraphe 6, précise déjà que les services de nuages interentreprises (le cloud) et les services de nuages qui permettent aux utilisateurs de télécharger du contenu pour leur usage personnel sont exclus de cette définition. Bien que les travaux préparatoires souligne que les plateformes de partage de fichiers qui stockent et donnent accès à un grand nombre de copies non autorisées d’œuvres à des fins lucratives devraient être considérées comme des FSPL, le travail de nettoyage déjà effectué par les services de cloud protège ces services. Ceci exclut par ailleurs explicitement les services d’archivages, qui ne font que copier du contenu sur demande d’utilisateurs, sans fournir un partage au sens large de contenu. L’article 17, particulièrement remarquable, va bouleverser le marché de l’information. Cette mesure reste, à mon avis, particulièrement peu adaptée à l’époque pour de nombreuses raisons que je n’aborderai pas ici.
La suite sur iusblog ICI